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Pringle et Case avaient quelque chose de suspect. Le simple fait qu’ils fussent présents dans cette habitation était de mauvais augure.

La voix de Pringle était chargée d’ironie. Et il s’était moqué d’eux sans arrêt, avec un amusement sarcastique, se divertissant de quelque plaisanterie à peine voilée dont ils ne savaient rien.

Pringle était un bavard, un bouffon… mais Case était raide, correct et, lorsqu’il parlait, ses mots étaient nets et tranchants. Case avait quelque chose… une allure… une ressemblance qui échappait à Sutton pour le moment.

Assis sur le bord de son lit, Sutton fronça les sourcils.

Si je pouvais seulement me rappeler, se dit-il. Si je pouvais retrouver cette attitude, cette manière de parler, de marcher et de se tenir raide. Si je pouvais l’associer avec une certaine chose que je connais, cela m’éclairerait beaucoup. Cela pourrait même me révéler qui est Case, ou ce qu’il est, ou même pourquoi il est ici.

Case savait que j’ai tué Benton. Case sait qui je suis. Et il aurait dû se taire, mais il fallait qu’il me dise qu’il le savait, parce que de cette façon, il se donnait du courage et bien qu’il n’en ait pas l’air, il a peut-être besoin de courage.

Eva n’a pas confiance en eux, elle non plus, car elle a essayé de me dire quelque chose quand nous nous sommes séparés à sa porte et je n’ai pu saisir ce que c’était d’après le mouvement de ses lèvres. Il me semble qu’elle essayait de dire : « Méfiez-vous d’eux. »

Comme si je pouvais me fier à quelqu’un… à qui que ce soit.

Sutton remua ses doigts de pied et les contempla, fasciné. Il essaya de les remuer les uns après les autres mais ils ne voulaient pas remuer à sa guise. Il essaya de bouger le même de chacun des deux pieds mais ils refusaient de bouger ensemble.

Je ne peux même pas faire ce que je veux avec mes doigts de pied ! et c’était drôle de penser à cela.

Pringle et Case nous attendaient, se dit Sutton, et il se demanda en même temps s’il ne se laissait pas aller simplement à son imagination. Comment, en effet, pouvaient-ils les attendre alors qu’ils ne pouvaient savoir que Herkimer et Eva mettraient le cap sur l’astéroïde ?

Il secoua la tête mais il ne put chasser l’idée que les deux hommes les attendaient…

Après tout, elle n’était pas si étrange. Adams avait su qu’il revenait sur la Terre, qu’il rentrait au bout de vingt ans. Adams le savait et lui avait tendu un piège… et il n’existait aucun moyen, absolument aucun moyen par lequel Adams aurait pu le savoir.

Et pourquoi ? se demanda-t-il. Pourquoi ?

Pourquoi Adams lui avait-il tendu ce piège ?

Pourquoi Buster s’était-il enfui pour aller s’installer sur une planète ?

Pourquoi quelqu’un avait-il conditionné Benton pour qu’il le provoque en duel ?

Pourquoi Eva et Herkimer l’avaient-ils amené sur cet astéroïde ? Pour qu’il écrive un livre, disaient-ils. Mais le livre était écrit. Le livre…

Il prit sa veste qui était accrochée sur le dossier d’une chaise. Il sortit l’exemplaire du livre au titre doré, et la lettre tomba sur le tapis. Il la ramassa, la posa près de lui sur le lit et il ouvrit le livre à la page du titre :

« CECI EST LA DESTINÉE, par Asher Sutton. »

Au-dessous, tout en bas de la page, il y avait une ligne en toutes petites lettres.

Sutton dut approcher un peu plus le livre pour la lire.

Et il lut : Version originale.

C’était tout. Pas de date de publication. Pas d’indication de copyright. Pas de nom d’éditeur.

Simplement le titre, le nom de l’auteur et cette ligne qui disait Version originale.

Comme si, pensa-t-il… comme si le livre était tellement connu, faisait tellement partie de la vie de tous, que quoi que ce fût de plus que le titre et l’auteur aurait été superflu.

Il tourna deux pages, elles étaient blanches, puis une autre et le texte débutait…

Nous ne sommes pas seuls.

Nul n’est jamais seul.

Jamais depuis le premier frémissement du premier soupçon de vie sur la première planète de la galaxie qui connut l’éveil de la vie, il n’y a eu une créature qui marche ou rampe ou glisse sur la route de la vie, seule.

Et c’est bien cela, se dit-il. C’est ainsi que j’ai l’intention de l’écrire.

C’est ainsi que je l’ai écrit.

Car je dois l’avoir écrit. Un jour, quelque part, je dois l’avoir écrit puisque je le tiens dans ma main.

Il referma le livre, le remit soigneusement en place et reposa sa veste sur la chaise.

Car je ne dois pas le lire, se dit-il. Je ne dois pas le lire, pas savoir de quelle manière il est écrit, sinon je l’écrirais de la manière dont je l’ai lu et je ne dois pas faire cela. Je dois l’écrire de la manière dont je sais qu’il l’est, à la manière dont je veux l’écrire, la seule manière de l’écrire.

Je dois être honnête, afin qu’un jour la race humaine… et d’autres races aussi… puissent connaître ce livre et le lire et chaque mot doit être exactement à sa place et je dois l’écrire si bien et si simplement que tous puissent comprendre.

Il souleva les couvertures, se glissa dans le lit ; au même moment, il vit la lettre et la prit.

D’un doigt ferme, il glissa un ongle sous le rabat de l’enveloppe, le fit passer tout le long du bord, et la colle s’effrita en une petite pluie de poudre fine qui tomba sur le drap.

Il sortit la lettre, la déplia avec précaution, afin qu’elle ne se casse pas, et il vit qu’elle était dactylographiée, avec de nombreuses fautes effacées par les x, comme si celui qui l’avait écrite avait eu de la difficulté à se servir d’une machine à écrire.

Il se tourna sur le côté, approcha la feuille de la lampe et voici ce qu’il lut…